La réussite de la filière coton en Afrique francophone montre l’importance d’une organisation efficiente de filières en termes de stabilisation des prix et des règles permettant la prévisibilité et d’effets d’entraînement sur la production vivrière et les revenus distribués. L’Afrique francophone, troisième exportateur mondial, a acquis un pouvoir de marché (cf. Ministère de la coopération, 1995 ; Cl. Mainguy, 1992).

Selon l’étude de U. Lele (1988), la production dépend en longue période des prix producteurs lorsque les politiques sectorielles sont peu présentes et que la filière coton est peu organisée (exemple de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe). Par contre, dans les pays d’Afrique de l’Ouest (notamment le Cameroun et le Sénégal), les élasticités de l’offre sont significatives vis-à-vis de facteurs non-prix. Si l’on compare les performances de ces deux pays de la Zone Franc (Cameroun, Sénégal) et de quatre pays hors Zone Franc (Nigeria, Kenya, Malawi, Tanzanie), on constate des différences significatives au niveau des taux de croissance de la production en longue période ; par contre des instabilités de production et de prix (estimées par les coefficients de variation) ne sont pas significativement différentes. Les facteurs institutionnels jouent un rôle essentiel.

Selon de nombreux travaux, notamment ceux confirmés de Boussard et Gérard par Guillaumont et Combes (cf. Benoit-Cattin, Griffon et Guillaumont, 1994), les élasticités-prix de l’offre sont moins significatives que les instabilités de prix. L’offre répond favorablement à la stabilité des prix réels au producteur.

Les effets de la libéralisation de la filière

De nombreuses filières cotonnières africaines ont connu une lourdeur administrative et un défaut de gestion des offices de commercialisation. Dans certains cas, l’exemple tanzanien, 1986-87, la suppression du Board a permis un système alternatif efficace qui s’est traduit par un paiement rapide au producteur, un approvisionnement en intrants dans les délais ou des disponibilités en biens de consommation pour les paysans. Par contre, dans le cas du Nigeria, la suppression du Cotton Board s’est traduite par un échec.

Les performances sont liées au mode d’organisation des filières, aux effets de diffusion de la recherche, à l’encadrement, aux innovations et aux choix technologiques. On peut considérer que plus les filières fonctionnent dans un contexte macro-économique déficient, ou instable, et moins elles sont intégrées en aval avec des industries textiles/habillement (cas des pays d’Afrique de l’Ouest) et plus l’internalisation et l’intégration des filières sont efficientes.

Les prix du coton mondial sont eux-mêmes le résultat de politiques d’intervention ; ils sont très volatiles et ne peuvent être considérés comme des prix d’équilibre. Le taux de change est la résultante de facteurs financiers qui ont peu à voir avec la parité des pouvoirs d’achat des monnaies. Selon les travaux de Claire Mainguy (1992), il n’y a pas de lien entre la dépréciation du taux de change effectif réel et l’accroissement des parts de marché durant la période 1985-89.

Les effets des politiques de stabilisation entre les pays de la Zone Franc et les pays Hors Zone

On peut comparer les effets de la fixité des taux de change et des institutions stabilisatrices des dix pays de la Zone Franc avec les pays africains Hors Zone. Les pays de la Zone Franc et Hors Zone subissent les mêmes instabilités des prix mondiaux et ont connu des instabilités des prix nominaux aux producteurs relativement proches. Les écarts types sont très proches au cours de la période 1975-1989.

On constate par contre des évolutions contrastées des prix producteurs réels. Dans les pays de la Zone Franc, il y a entre 1975 et 1988 un accroissement continu des prix réels producteurs alors que les pays hors Zone Franc ont connu une forte instabilité et une tendance à la stagnation. Les écarts types montrent des différences significatives au niveau de l’instabilité des exportations et des prix.

On peut considérer que la plus grande stabilité du change, au sein des pays de la Zone Franc a plutôt réduit les instabilités des prix réels aux producteurs. Il semble toutefois que les facteurs institutionnels tels l’environnement stabilisé, la garantie d’approvisionnement et de débouchés soient plus explicatifs que les seules variables de prix et de change pour expliquer la réussite des filières coton en Afrique francophone

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Les effets de la dévaluation du FCFA de janvier 1994

Il y a eu, à la suite de la dévaluation des FCFA, amélioration de la compétitivité et de la rentabilité des secteurs exportateurs et de substitution des importations. On a observé du fait de réflectivité de la dévaluation, une dépréciation du taux de change réel de 27 % en devises alors que les termes de l’échange s’amélioraient de 2 %. L’effet du taux de change sur la compétitivité des pays africains de la Zone Franc doit prendre en compte les spécificités de ces économies qui sont exportatrices de « commodités » dont les prix sont fixés internationalement et qui sont, sauf pour le cacao de Côte d’Ivoire, « price taker ». Les effets de compétitivité-prix ont été faibles par rapport aux effets rentabilité des filières exportatrices.

L’amélioration de la balance commerciale a résulté largement d’un décalage intertemporel conduisant à une courbe en J inversée. L’effet mécanique de la dévaluation (auquel se sont ajoutés, la première année de la dévaluation, les effets cours mondiaux et accroissement en volume) a accru la valeur des exportations agricoles alors que les importations chutaient fortement les six premiers mois. La dévaluation a eu pour effet immédiat de créer une prime de change positive à l’exportation et négative à l’importation. Le pessimisme des élasticités prix n’a pas été vérifié. La première année de la dévaluation, les exportations ont augmenté de + 106 % en FCFA malgré une faible hausse des exportations pétrolières alors que les importations ont fortement chuté. Trois facteurs peuvent être décomposés : l’effet quantité, l’effet mécanique de la dévaluation et l’effet cours mondiaux. Celui-ci a représenté pour les exportations 4 % du PIB en Côte d’Ivoire. L’effet quantité s’est élevé à 3,1 % du PIB au Cameroun.

La seconde année de la dévaluation, les effets de la croissance de la valeur des exportations agricoles ont été plus réduits alors que les importations reprenaient fortement notamment dans la zone UEMOA. L’effet mécanique de la dévaluation a disparu, de même que l’effet cours mondiaux s’est ralenti. Seul l’effet volume s’est maintenu.

Selon les calculs de Goreux (1995), la décomposition de la valeur de l’ensemble des exportations entre 1993 et 1995 montre qu’au Cameroun (hors pétrole), 22 % de l’augmentation exprimée en FCFA est due à l’effet quantité et 15 % à l’effet cours mondiaux (essentiellement sur le café et le cacao).

Les exportations agricoles des pays de la Zone Franc ont augmenté de 28 % en francs français entre 1991-1993 et 1994-1995. La hausse des cours mondiaux et la dévaluation ont amélioré la rentabilité des filières du cacao, du café, des oléagineux, du coton ou du bois. Elles ont stimulé l’offre.

On a constaté également une substitution d’importation pour les produits vivriers et d’élevage. Il y a eu à la fois réponse de l’offre, déplacement de la demande. Les importations alimentaires ont chuté. On a vu également se développer des flux régionaux (exemple du mil, du sorgho et du bétail allant du Sahel vers l’Afrique côtière). Dans l’ensemble, la dévaluation du FCFA a eu un impact positif sur l’agriculture africaine dans un contexte international favorable.

Source : Phillipe Hugon – L’agriculture en Afrique subsaharienne restituée dans son environnement institutionnel

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