L’agriculture africaine a connu apparemment un faible développement de longue période surtout si on la compare à l’agriculture asiatique et à la réussite de la révolution verte étudiée dans les nombreux travaux de Gilbert Etienne (cf. notamment Etienne, Gourou, 1985 ou Etienne, Griffon, Guillaumont, 1993). La faible productivité de l’agriculture est un facteur essentiel de blocage de l’économie. L’agriculture de rente procure 40 % des recettes d’exportation de l’Afrique ; elle est la principale source de revenus pour l’Etat. L’agriculture vivrière doit permettre l’alimentation d’une population qui croît de plus de 3 % par an et d’une population urbaine dont le taux de croissance est de l’ordre de 5 %. L’agriculture joue potentiellement un rôle important dans le développement comme lien essentiel, source d’une épargne et de main-d’œuvre pour l’industrie, facteur de débouchés pour celle-ci. Or, elle représente moins de 20 % du PIB africain.

L’Afrique subsaharienne est toutefois contrastée. En Afrique du Sud et au Zimbabwe domine une grande agriculture d’exploitants « blancs ». Deux zones agricoles relativement dynamiques apparaissent, en Afrique de l’Est (exception faite de la Corne de l’Afrique) et en Afrique de l’Ouest, pays à densité démographique plutôt élevée. La vaste diagonale allant du Soudan à la Namibie est, au contraire, caractérisée par de faibles densités et par de faibles rendements. Les zones en forte insécurité (Angola, Mozambique, Tchad, Afrique des Grands Lacs) connaissent évidemment une crise agricole particulièrement forte (cf. Raison, 1996). « La complexité des systèmes agricoles dans l’Afrique d’aujourd’hui ne s’accorde pas de jugements simplistes » (Couty, 1996). Les modes de culture vont de la culture itinérante sur brûlis à la culture irriguée en passant par des cultures intensives en travail, en mécanisation ou en intrants. On observe un lien entre ces systèmes et la pression démographique mais également avec les possibilités de financer les intrants, le mode d’appropriation des terres ou la mise en œuvre d’innovations (exemple du coton ou des semences améliorées).

Des dynamiques agricoles sont repérables dans le vivrier marchand ou certaines cultures d’exportation notamment le coton. L’Afrique subsaharienne a vu sa population doubler depuis 1970 et sa population urbaine quadrupler. Or, apparemment, l’offre agricole a dans l’ensemble répondu à la demande urbaine et les importations agro-alimentaires demeurent limitées.

Après avoir présenté certains symptômes de la faible croissance agricole en longue période (I), nous analyserons l’impact des politiques de libéralisation (II) avant de proposer une analyse institutionnelle en termes de filières (III).

LA FAIBLE CROISSANCE AGRICOLE DE L’AFRIQUE
Caractéristiques structurelles de l’agriculture africaine

Plusieurs traits généraux apparaissent au-delà des grandes différences des systèmes de culture et de production (Raison, 1994) :

  • La production vivrière, la première transformation et la commercialisation des produits vivriers concernent principalement les femmes dont le temps de travail est supérieur à celui des hommes. Ces derniers sont plutôt spécialisés dans les activités de défrichage et dans les cultures d’exportations. L’agriculture est caractérisée par une division sexuelle du travail et par une faible spécialisation vis-à-vis du marché ;
  • La productivité du travail est basse du fait d’une très faible mécanisation et d’une utilisation réduite d’intrants. Il faut quarante jours de travail à la houe pour quatre avec une charrue attelée pour un hectare. En moyenne, un actif cultive un hectare au Sahel, cinquante ares en zone soudanaise et vingt-cinq ares en forêt équatoriale (source : Raison, 1996) ;
  • L’intégration agriculture/élevage est réduite, la maîtrise de l’eau est limitée, la pratique de la jachère longue et celle du brûlis domine (deux à trois ans de culture sur dix ans de jachère en zone soudanaise, deux ans sur vingt-cinq ans en zone forestière) ;
  • Les risques climatiques sont mal maîtrisés. Peu artificialisée, l’agriculture africaine subit les effets de la sécheresse (Sahel, Afrique australe). L’intensification en intrants se substituant au travail accroît la productivité du travail mais accentue également le risque agricole ;
  • Les risques de dégradation des écosystèmes sont importants. Il en résulte de fortes pressions migratoires ;
  • Enfin, l’absence ou la faiblesse de droits de propriété privée conduit à des droits d’usage accordant généralement la possession du sol à celui qui le cultive. On voit toutefois se développer une appropriation privée des sols.

P. Pelissier a montré les préférences de l’agriculteur pour « l’extensif qui rapporte alors que l’intensif nourrit » dans un contexte de faible densité démographique et (ou) de faible appropriation des terres. Les paysanneries affrontent des aléas climatiques, en disponibilité de main-d’œuvre, accès au crédit et intrants ou en débouchés qui rendent trop risquée l’intensification capitalistique. Les aménagements agricoles qui réduisaient ces risques (irrigation, drainage, moyens de communication…) et qui justifient des intrants sont rares.

L’agriculture est une des principales sources de surplus mais davantage par le jeu des prix relatifs que par des progrès de productivité. Dès lors, l’extraction du surplus par faible valorisation des produits se fait aux dépens de sa dynamique de long terme. Ce sont les pays ayant adopté des prix incitatifs (Côte d’Ivoire, Kenya, Malawi), et (ou) stabilisés, qui ont connu des progrès notables de production.

Les facteurs de blocage de l’agriculture interviennent différemment selon les systèmes de production : les distorsions de politiques, les prix défavorables, l’émigration rurale, le faible montant des investissements publics, les difficultés de commercialisation et d’approvisionnement, les technologies vétustes ou inadaptées, les facteurs climatiques (exemple : sécheresse), écologiques (désertification), sociaux (structures foncières ou lignagères) ou politiques (exemple : guerre et insécurité) sont autant d’éléments ayant joué selon diverses pondérations.

La sécurité alimentaire et l’agriculture vivrière

La population en sous-alimentation chronique de 96 raillions (sur 268 millions en 1969-71) serait (…)

Selon les statistiques officielles, relativement divergentes, l’Afrique Subsaharienne est dans l’ensemble marquée par une faible croissance de sa production agricole et alimentaire. Le niveau nutritionnel des populations tend apparemment à régresser.

Base 100 en 1970, elle serait de 80 en 1991. La production alimentaire per capita serait passée po (…)

Les agricultures vivrières extensives, aux techniques peu artificialisées, sont vulnérables ; selon la FAO, la production vivrière par tête, constante au cours de la décennie 60, aurait baissé annuellement de 1,2 % durant les années 704. Ces chiffres sont, par contre, remis en cause par des études telles WALTPS (1994) qui estiment que le surplus agricole mis sur le marché depuis 1960 a crû annuellement au rythme de 2,6 %. L’Afrique connaît également d’importants problèmes d’approvisionnement au sein des filières agro-alimentaires (commerce, stockage, transports, transformation, distribution, manque de fluidité et de rapidité des flux d’approvisionnement, d’infrastructures, législation inadaptée, faible productivité des unités à petite échelle).

L’agriculture de subsistance, de type extensive, demeure peu intégrée au marché (cueillette ou brûlis). Elle utilise des méthodes « traditionnelles » de culture (cultures associées), de débroussage (brûlis) et de techniques de production (houe, machette). En jachère longue, au-delà de 30 hab/km2, le système de cultures associées et itinérantes ne peut assurer la sauvegarde des sols. Dans les régions à densité démographique supérieure (exemple du Kenya ou des plateaux Bamiléké) les jachères n’excèdent pas trois ans, l’agriculture est plus intensive et les cultures souvent continues. L’exploitation familiale moderne est quasi absente. L’intensif modernisé avec irrigation, double récolte annuelle, fumure, utilisation de semences et plantes à hauts rendements ne se trouve que dans quelques zones (exemple des Bamiléké du Cameroun, Zimbabwe). Des progrès de productivité ont été enregistrés dans les grands périmètres irrigués. Mais les coûts de production y sont élevés (exemple : Moyenne Vallée du Sénégal).

Il est toutefois très difficile de faire une synthèse pour l’Afrique. Les systèmes d’information sont peu fiables. L’opacité de l’information renvoie à des enregistrements imparfaits dans des sociétés à statistiques déficientes. Elle tient à l’autoconsommation et aux circuits économiques fonctionnant en dehors de l’enregistrement. Les espaces africains sont peu intégrés et conduisent à des prix ou à des quantités disparates.

Les sociétés africaines sont également caractérisées par une très grande instabilité des productions, des flux et des prix agricoles. La saisie statistique est rendue ainsi très difficile. Les écarts entre les évolutions mensuelles, annuelles et pluriannuelles peuvent être considérables. Il est très délicat, au-delà des fluctuations, de définir des tendances de moyen et long terme.

Les statistiques globales sont, enfin, un enjeu important au niveau des pouvoirs notamment pour bénéficier de certaines formes d’aide. Elles sont ainsi souvent « construites pour les besoins de la cause ». Les estimations macro-économiques de consommation ou de production agro-alimentaire utilisées par la FAO doivent être ainsi utilisées avec précaution. Les productions sont estimées en appliquant à des populations rurales, très mal connues, des rendements et des surfaces évalués à partir de certains échantillons. La production agricole, calculée à partir de la population rurale, diminue évidemment d’autant plus que celle-ci baisse. La mise en relation des statistiques de population urbaine et de production agricole aboutit alors à un biais inclus dans le mode de calcul. Les consommations ou les disponibilités alimentaires sont obtenues selon la méthode des soldes cumulant les diverses erreurs.

Les importations agro-alimentaires

Les produits alimentaires sont ceux des sections 0.1 et 4 et division 22 de la CTCI (produits alim (…)

En quantité, les importations nettes de céréales, négligeables dans les années 50, ont crû de 9 % (…)

La crise relative des systèmes agro-alimentaires africains se manifeste par une relative détérioration de la balance agro-alimentaire5. Le taux d’autosuffisance alimentaire de 98 % en 1960 était tombé à 90 % en 1972. Les importations agricoles en valeur avaient été multipliées par 5,4 entre 1970 et 1980 et les importations alimentaires par 7,26.

Ces chiffres doivent toutefois être relativisés ; le déficit alimentaire par habitant en Afrique de l’Ouest est huit fois inférieur à celui de l’Afrique du Nord et il tend à baisser ; les importations alimentaires représentent moins de 10 % de la consommation alimentaire ; la balance commerciale alimentaire de l’Afrique subsaharienne (en valeur nutritive) demeure équilibrée et les importations alimentaires par tête sont faibles comparées à d’autres régions. Les importations céréalières sont passées en pourcentage des exportations de biens et services de 3,8 % (1973) à 3,8 % (1980), 5,5 % (1985), 4,2 % (1991) et 5,2 % (1992). Les évolutions en Afrique francophone sont très contrastées (cf. tableau 1).

Tableau 1. Poids des importations céréalières sur les exportations de biens et services ( %)

Source : Makaya, 1996

Source : Phillipe Hugon – L’agriculture en Afrique subsaharienne restituée dans son environnement institutionnel

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